Province du Guangxi 广西

La salle d’attente à la gare de Haikou 海口 est bondée. Il fait très chaud et l’impatience générale s’accentue à mesure que l’heure avance. Dès l’ouverture des portiques, la foule agitée se précipite en avant comme si la vie de chacun en dépendait et que seuls les premiers arrivés auraient une place à bord. Certains passent par-dessus les sièges et n’hésitent pas à jouer des coudes, ça se bouscule de tous les côtés. Je suis prise au milieu de ce tourbillon, j’aurai préféré attendre tranquillement et entrer en dernier mais c’est trop tard. C’est comme se retrouver au milieu d’un pogo sans l’avoir fait exprès. Pour éviter de succomber à la tension qui m’entoure, je m’amuse à faire barrage et à créer de l’espace autour de moi en me tournant avec mon gros sac à dos, feignant ne pas me rendre compte de la place que je prends. Ça embête mes voisins qui me le font bien comprendre, je reste impassible autant que possible mais je ne peux m’empêcher de rire, même si je suffoque. La situation est vraiment grotesque, on croirait une pièce de théâtre.  
Ça y est, dernier contrôle d’identité avant d’entrer dans le train. Le gentil monsieur est très content de pouvoir me dire « Hello ! » et il repasse plusieurs fois me saluer pendant le trajet. Nous partageons des snacks en bavardant, en intimité avec mes camarades de compartiment, puis chacun se repose dans sa couchette. C’est assez confortable et les heures passent vite. Je descends au petit matin à Guilin 桂林, il fait nuit et froid, une fine pluie vient accentuer la fraîcheur à laquelle je n’étais pas préparée. Court passage à mon hôtel, je m’habille bien avant de sortir visiter la ville.
Le calme des aurores ne dure pas et les parcs sont vite assaillis par des touristes qui débarquent en troupeaux, suivant leurs guides qui racontent des histoires en haut-parleur. Quel vacarme, je me sens agressée. Le tourisme interne en Chine tient la même cadence que ce que l’on peut observer dans nos contrées. Sortie du car, visite, photos, retour dans le car, visite suivante, photos, etc. Je caricature un peu mais ça y ressemble, le rythme est effréné. Je suis un peu agacée par cette démonstration, puis je suis agacée d’être agacée. La fatigue du trajet n’aide pas, mais se trouver des excuses ne sert à rien. Je saisis donc cette occasion pour m’adonner à un petit exercice. Essayer de faire le calme en soi malgré l’excitation environnante. Je respire calmement et je fixe mon attention sur les arbres, l’eau qui circule, les montagnes au loin. La foule se floute et le brouhaha devient un bruit naturel à mes oreilles. Je parviens à me détendre et je continue ma promenade le cœur léger.
Sur les chemins qui longent la rivière Li 漓江, mes pensées s’en vont faire une rétrospective de l’infinie diversité d’humains qu’il m’a été donnée de voir dans mon humble parcours, depuis ma naissance jusqu’à aujourd’hui. Tant de façons de faire, de croyances, de comportements et points de vue différents. On peut bien s’identifier à n’importe quel groupe ; ethnique, familial, amical, politique, religieux, idéologique ou n’importe quoi d’autre, et je pense que cela est normal de se rassembler au travers de nos points communs. Toujours est-il que personne n’est pareil qu’un autre, je ne vous apprends rien. Mais puisque chacun a son propre avis sur tout, sur ce qui est juste ou non, ce qui se fait ou qui ne se fait pas, ce qui est éthiquement correct ou scandaleux, beau ou moche, et ainsi de suite, pourquoi accorder tant d’importance à ce que les autres pensent ? De toute manière, on ne pourra jamais satisfaire tout le monde. À force de toujours chercher une validation extérieure, je me demande qui je suis vraiment là au milieu. Je me sens oiseuse, comme si je cherchais quelque chose qui n’existe pas. Une vérité qui me file entre les doigts. Ces manières ne m’intéressent plus, il est grand temps de laisser mon authenticité s’exprimer librement. J’ignore ce que cela implique concrètement et je perçois encore de nombreuses barrières mentales à dépasser. Mais si dès maintenant, j’invite ma vraie nature à jouer le rôle principal dans ma vie. Si je m’applique à repérer les autres personnages, ceux qui me font douter et qui me mettent dans l’inconfort, qui me disent d’agir selon des règles que je n’ai jamais consciemment approuvées. Si je les renvoie en leur disant qu’ils ne m’intéressent plus, je vais bien finir par découvrir qui je suis, non ?

Sur les bords de la rivière Li

Assez rapidement, je mets le cap sur les rizières en terrasse de Longji 龙脊 (La colonne vertébrale du Dragon) pour chercher du calme dans la nature. Il y a de nombreux bâtiments neufs et en construction qui attestent de l’essor touristique du lieu, déserté à cette saison. L’atmosphère me fait penser à un automne humide en Suisse. Je marche sur les nombreux sentiers qui traversent les rizières de villages en villages et je ne croise littéralement personne, à part des oiseaux et les habitants des localités en question : poules, canards, humains et chiens, dans l’ordre des plus nombreux aux moins nombreux. Les établissements ouverts sont très rares et le décor a une allure pour ainsi dire postapocalyptique. Moi qui avais envie de solitude, je suis servie ! Cet isolement momentané est très bénéfique. La quasi absence d’activité humaine laisse place aux bruits sauvage et au silence. Cela m’avait manqué, je savoure cet espace régénérateur, comme si le temps s’était arrêté. Après quelques jours je fais le constat que je suis un être sociable. Tout de même ! Le contact humain et les situations cocasses qui en découlent commencent à me manquer. Je ne suis donc pas prête pour une vie d’ermite. Une nouvelle destination s’impose, toujours dans les alentours de Guilin. Un fin voile de neige recouvre le paysage le jour de mon départ, comme pour rappeler qu’on est bien au mois de janvier.

Je me promène
Les rizières dans la brume

Je passe quelques jours à Xingping 兴坪, au bord de la rivière Li, où je visite les alentours avec des amis rencontrés à mon auberge. Les montagnes sont magnifiques, pas étonnant que de nombreux artistes aient trouvé l’inspiration ici. Le groupe donne le maximum pour organiser des sorties, négocier les prix et choisir dans quels restaurants manger. Peu de place est laissée au hasard, comme si le séjour devait absolument être parfait et que toutes les activités « à ne pas manquer » se devaient d’être vécues. Cela ne me dérage pas, je me laisse porter par cet enthousiasme communicatif. Je ne suis pas compliquée et j’ai le temps. Je savoure ce voyage arrangé et la bonne ambiance qui règne au sein de cette joyeuse petite bande, qui a aussi l’avantage de m’éduquer sur les façons de se tenir à table par exemple.

Visite d’une grotte avec la bande

Il m’est un peu difficile de trouver le juste équilibre entre trop d’isolement et trop de contact avec les autres. J’aime bien agir en solitaire et j’aime bien partager des bons moments. Ce problème ne date pas d’aujourd’hui et je n’ai pas encore trouvé d’autre solution que d’alterner entre les deux.
De ce fait, je décide de me retirer dans un autre endroit. Décidemment, la bougeotte ne me quitte pas. Je pointe aléatoirement dans les alentours sur la carte, faisant confiance au hasard qui génère la plupart du temps de bonnes surprises. C’est ainsi que je pars pour Huangyao 黄姚. Je me renseigne sur les moyens de s’y rendre, personne n’est en mesure de me répondre. Ni internet, ni les gérants de l’auberge qui n’ont jamais entendu parler de cet endroit, pourtant pas si loin de là, ni le personnel de gare qui me regarde bizarrement. Je ne me décourage pas, les choses prennent justement une tournure intéressante et ce mystère attise ma curiosité. J’ai vu qu’il y avait des hôtels, on doit bien pouvoir s’y rendre d’une façon ou d’une autre. Mon plan est de prendre le train et de descendre à la grande gare la plus proche. Pour la suite, on verra sur place.
Arrivée à la gare de Hezhou 贺州 comme prévu, je tombe sur une fille qui se rend au même endroit. On partage une voiture et elle me raconte que Huangyao 黄姚, encore méconnue du grand public, attire un tourisme de niche par sa riche histoire et son architecture restée intacte. La contrée n’est donc pas si perdue que ça !
Pour la première fois depuis mon arrivée en Chine, je rencontre des difficultés à trouver un logement. Soit les étrangers ne sont pas acceptés, soit les prix sont exorbitants. Cette pratique est apparemment assez courante en Chine et j’en avais été avisée avant mon départ. Je confirme la véracité des faits. Après quelques tentatives infructueuses et même en insistant, c’est finalement le chauffeur qui m’emmène chez ses amis qui tiennent un hôtel dans le coin. On rigole bien de la situation et je suis soulagée d’avoir un lit qui m’attend.

Premier aperçu de Huangyao

Je me sens hypnotisée dès mes premiers pas dans les rues de la vieille ville. Il y a vraiment une énergie spéciale qui s’en dégage et je sens littéralement mon corps vibrer. La citadelle est indéniablement bien préservée et permet de s’immerger dans un mode de vie traditionnel où les principes du Feng Shui sont mis à l’honneur. Point de rencontre entre 3 rivières qui serpentent la ville, de nombreux ponts et bassins d’eau sont encore utilisés aujourd’hui, bordés par des ficus centenaires. Chacun des quatre points cardinaux possède sa porte d’entrée, assurant la sécurité des premiers habitants qui étaient des réfugiés de guerre à l’époque où les dynasties Ming et Qing se succèdent. Huangyo possède de nombreux temples, une dizaine de pavillons et quelques scènes d’opéra, témoins de la prospérité de la ville à son âge d’or. Bien plus tard, lors de l’invasion japonaise, la cité sert encore une fois de refuge à des révolutionnaires activistes dont de nombreux artistes, peintres, calligraphes, scientifiques, scénaristes, écrivains et poètes.
Aujourd’hui, la ville est parsemée de panneaux qui racontent les légendes et faits historiques qui font la fierté des habitants. À côté de cela, la vie quotidienne suit son cours. Les résidents, beaucoup de familles, tiennent des boutiques d’artisanat ou autre, des petits hôtels ou des restaurants. Les enfants s’amusent à cache-cache et font éclater des pétards, laissant derrière eux une délicieuse odeur de poudre. J’achète moi aussi quelques pétards à éclater par terre. Ils sont très puissants et je dois dire que cela procure un certain plaisir, même si je suis un peu gênée lorsque des adultes me regardent. Je me promène en imaginant la vie à l’époque, je visite chaque recoin de la ville en prenant le temps de m’imprégner de cette atmosphère si singulière.

Pagode dans la nuit
Ruelle typique

Le soleil se fait rare depuis mon arrivée dans le Guangxi et j’ai envie d’aller explorer une autre Province. Escale d’une nuit à Nanning 南宁 et départ pour Kunming 昆明, la surnommée « ville au printemps éternel ». Je vais aller vérifier cela.

Poules au bord de la rivière à Huangyao

5 commentaires

  1. Quel plaisir de suivre, les Tribulations d’une « Chinoise » en Chine
    Bonne continuation et vive les découvertes futurs.
    Bisous

  2. Coucou Estelle ! C’est passionnant tes commentaires, j’adore ! Et bravo pour le texte, les synthèses je me crois en voyage !
    Prends soin de toi et à bientôt j’espère !!
    PS fait gaffe aux ours blancs !

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