Se nourrir et nourrir le Monde
Le circuit continue dans le Yunnan, direction le sud, l’ouest, puis le nord. De nombreuses plantations de thé se font apercevoir, notamment à Pu’er 普洱 où les locaux sont étonnés d’apprendre que leur produit est très réputé jusqu’en Europe. J’emprunte un tronçon de la route du thé et des chevaux, qui démarrait à l’origine dans le Sichuan pour aller jusqu’à Lhassa et permettait d’échanger thé chinois contre chevaux tibétains. La difficulté de certains passages et la météo changeante de haute montagne rendent les conditions extrêmes et de nombreuses personnes y perdent la vie. Malgré le danger, le commerce prospère et le réseau s’étend, l’offre se diversifie notamment grâce aux croisements avec la route de la soie. Ce pont entre l’Inde et la Chine a joué un rôle important dans la diffusion du Bouddhisme et autres legs culturels. Aujourd’hui, de nouvelles voies sont empruntées et seules quelques reliques témoignent de ce passé florissant.

Je mets la main au Myanmar, à travers la barrière qui sépare les deux pays dans un parc consacré à Ruili 瑞丽. J’envie un peu les oiseaux et les papillons qui ne se soucient pas de cette séparation, volant en toute liberté d’un côté puis de l’autre. Une chanson de Bertrand Belin qui me touche particulièrement vient à mon esprit. Les paroles collent bien avec mon ressenti à ce moment-là (merci papa pour la découverte de cet artiste). Frissons garantis !
Oiseau – Bertrand Belin
Ma fois, l’humaine que je suis est contrainte à jouer selon les règles du jeu effectives, territoriales et administratives. Accepter cela permet d’éviter les ennuis et de garder une forme de liberté. Non absolue certes, cela s’apparente plutôt à un genre d’indépendance légiférée. Du moment que mon esprit reste libre, je tolère cela sans peine.
Cette région est fortement imprégnée du style sud-asiatique. L’architecture comporte de nombreuses pointes et arrondis, dorures et maints éléphants qui feraient presque oublier les dragons. C’est très différent du style chinois tel que représenté de façon générale et on s’imagine facilement être ailleurs. Bien que l’environnement soit très agréable, je suis vite appelée à poursuivre en direction des montagnes. Je préfère donc suivre cette envie et ne pas m’attarder ici.

Les particularités du Yunnan résident dans son doux climat et sa multiculturalité, faisant de la province une région haute en couleurs. On y dénombre quelques 25 ethnies, tandis que le reste du pays est majoritairement Han. C’est une grande fierté pour chacun de ces peuples qui gardent leurs traditions bien vivantes encore aujourd’hui ; dialecte, vêtements, nourriture, artisanat, croyances et rituels font partie de leur quotidien. Les jeunes adultes portent plus rarement les vêtements classiques qu’ils réservent pour les occasions spéciales, mais ils n’en restent pas moins attachés à leurs racines. Sans surprise, un certain tourisme s’est développé autour de ce folklore et ce, de manière plus ou moins grossière selon la localité. À certains endroits c’est extrême, choquant même. Il m’est arrivé de me faire agresser par des femmes d’un certain âge, s’agrippant à mes manches et me criant dessus pour vendre des babioles. Certaines vieilles villes se sont éloignées de leur essence originelle et font plutôt penser à des parcs à thème où le but est de pousser à la consommation à outrance, avec des prix exorbitants. Parfois désenchantée, j’ai cependant toujours trouvé quelque chose à apprécier dans chaque destination. Les endroits plus authentiques existent encore, fort heureusement, même si les locaux affirment avec une pointe de regret que le développement est rapide. C’est une chance pour l’économie locale, c’est aussi une menace pour la quiétude du lieu. Il en est ainsi, les endroits les plus spectaculaires sont parmi les plus fréquentés et il est cohérent que nombreux aient envie de les visiter. Fait facilement vérifiable partout dans le monde et dont l’effet est amplifié en Chine, pays si densément peuplé depuis toujours. J’avoue être frustrées de la difficulté à sortir des sentiers battus. La plupart des zones naturelles sont délimitées et accessibles par des entrées payantes, certains parcs nationaux sont carrément interdits aux étrangers. J’ai pensé louer ou acheter une moto pour me faufiler plus facilement dans les recoins, projet vite avorté car beaucoup trop difficile, voire impossible. Ces contraintes n’altèrent pas mon intérêt pour la Chine qui me séduis et m’intrigue davantage à mesure que j’avance.

Je me trouve quelque part dans la danse.
Je suis nourrie d’innombrables rencontres depuis le début de ce périple. Voyageurs ou résidents, ces personnes de tout horizon ont le point commun d’être Chinois, à l’exception de mes premiers amis mongoles, et heureux de m’accueillir dans leur pays. J’ai croisé quelques rares occidentaux dans les lieux les plus fréquentés, nos échanges se sont limités à un petit signe de tête, un sourire, ou le plus souvent à l’indifférence totale. Je n’ai moi-même pas spécialement cherché le contact et cette apathie réciproque me convient. Les gens de manière générale aiment venir me parler et me posent de nombreuses questions, parfois indiscrètes, auxquelles je réponds plutôt amusée. Il n’est pas rare que des petits attroupements se créent et je fais de mon mieux pour suivre la conversation avec mon vocabulaire restreint. On rigole beaucoup, l’ambiance est légère et bienveillante. Certains m’observent écrire à l’ordinateur par exemple, étendre ma lessive, débloquer un vélo pour m’en aller ou manger. Mes affaires sont curieusement observées et il n’est pas rare qu’on me demande photos ou TikTok. D’abord gênée, je commence à avoir l’habitude et l’ambiance bon enfant me plaît bien, toujours très respectueux et jamais insistant. Le moment révolu, chacun passe rapidement à autre chose.
La durée de ces échanges n’ont que peu d’importance, à peine quelques secondes déjà sont riches en émotions. Et alors que les minutes deviennent des heures, puis les heures des journées, le lien se développe rapidement. Plus intimes, la confiance s’installe naturellement et on se dévoile tel que l’on est, authentique, avec ses forces et ses faiblesses. La stabilité passagère qui émane du clan réconforte, bien qu’on sache que notre histoire est éphémère. Bientôt, chacun continuera dans sa direction. Et lorsque quelques heures plus tard on se recroise par surprise sur une aire d’autoroute, c’est un peu comme retrouver sa famille. Juste le temps d’échanger quelques rires avant que chacun remonte dans son bus respectif en se souhaitant une dernière fois un bon voyage.
Je suis couramment félicitée pour mon courage d’être ici toute seule et le plus beau compliment qu’on me fait est de ressembler à une vraie Chinoise lorsque je mange des nouilles. Je concède que ce n’est pas le pays le plus facile pour partir à l’improviste et les débuts étaient difficiles. Un bon petit bout de chemin a été parcouru depuis et je me sens de plus en plus familiarisée avec le mode de vie Chinois, même si je suis encore maladroite. Le titre de touriste me représente bien, avec un goût prononcé pour l’aventure cependant, et je m’y adonne avec joie. Cette occupation sans prétention m’autorise une insouciance fort agréable. Rien à prouver à personne, aucun objectif arrêté, des rêves et des envies oui, mais toujours avec une large flexibilité, permettant aux événements de se dérouler spontanément ou parfois même de ne pas se dérouler du tout. J’apprends enfin à réellement lâcher le contrôle.


Mes compagnons et moi discutons du monde qui nous entoure, de sa beauté mais aussi des enjeux actuels dans la période trouble que nous traversons. Mon optimiste quant à l’avenir de l’humanité grandit à mesure que je rencontre de nouvelles personnes qui me surprennent par leur esprit conscient et lumineux. Les apparences sont souvent trompeuses. Plus j’avance et plus je me sens loin des « grands-méchants-pas-beaux » qui occupent les médias, comme si cela était une fiction ridicule, une tentative de déstabiliser la foule afin de régner par la peur. Bien sûr, il se passe des horreurs, j’en suis consciente. Mais je fais le choix de diriger mon énergie dans le monde que je veux voir et non pas dans celui qui m’écœure. Dans un Univers constitué d’énergies et de vibrations, il est primordial de soigner ses actes, ses paroles et ses pensées même. Les énergies que l’on émet et celles que l’on absorbe. Cela demande de la vigilance et requiert un travail quotidien. Il s’agit de s’observer soi-même avec bienveillance et honnêteté, de se rassurer comme on le ferait avec un enfant ou un petit animal. Certaines parts d’ombres sont susceptibles de faire surface, réveillant des souffrances, souvenirs pénibles, hontes, rancœurs, regrets, peurs ou douleurs physiques. Ces symptômes font partie du processus, les accepter permet le pardon véritable et garantit une transformation vers plus de légèreté. Il n’est jamais trop tard pour évoluer et se remettre en question, peu importe ce qui a été entrepris jusqu’à maintenant. Nous sommes à l’aube d’un nouveau monde et nous avons le pouvoir d’agir, alors nourrissons le monde de notre plus belle lumière.
« Ayez le courage de prendre vos pensées au sérieux car elles vous façonneront. » Albert Einstein
La sagesse de notre cher Einstein saura peut-être convaincre les plus sceptiques. De plus, il semblerait que les théories quantiques actuelles appuient mes propos.

Une chose qui me plaît particulièrement dans le Yunnan, vous l’avez sans doute compris, c’est l’espace majestueux consacré aux cultures. En ville, grande ou petite, en campagne, autour des habitations, sur les aires d’autoroute, autour des temples, peu importe où l’on se trouve les légumes frais sont assurés. Il faut dire que le climat est rêvé et une végétation très variée s’y complaît. Les champs sont organisés en petites parcelles de formes organiques et je n’ai vu aucun tracteur ni grosse machine jusqu’à maintenant, même s’il doit probablement y en avoir quelques-uns. L’union fait la force et la main-d’œuvre ne manque pas.

J’ai eu la chance de goûter à ne nombreux fruits et légumes jamais vus auparavant. Certaines saveurs ne ressemblent à rien de ce que je connais et déboussolent mes papilles gustatives. Globalement j’aime tout, avec quelques petites préférences. Ce n’est pas le cas des œufs de 100 ans qui me laissent un peu dubitative et surtout de la viande. Quel vaste sujet, surtout ici en Chine. Voici quelques exemples de ce que j’ai eu l’occasion de goûter, parfois involontairement. Intestins, peau de porc, sang gélatineux, aorte de porc, estomac de bœuf, gorge de porc en lamelles, jus de rumination de vache en sauce, gelée de carapace de tortue aux herbes médicinales en dessert, sans compter les horreurs que j’ai refusé de mettre dans ma bouche. Certains avaient bon goût il faut l’admettre, d’autres m’écœurent du seul fait de les évoquer. La façon de cuisiner est très différente également. Souvent coupé grossièrement, on recrache les os ou autre partie non digestibles dans une petite assiette prévue à cet effet. Mes compagnons s’amusent bien de me voir grimacer, ils commandent des bizarreries qu’ils me convainquent de goûter m’assurant que c’est délicieux. Et ils sont sincères ! Je m’étonne de leur penchant pour ces aliments. Pensez à n’importe quoi, cela devrait se trouver en Chine, tout fantasme culinaire peut être assouvi ici. Sur les stands de marché on aperçoit crapauds dépouillés, pattes de poules à toutes les sauces, abats à gogo, pieds de porcs, langues, têtes entières, crustacés étranges, insectes et j’en passe. Au moins on se rend facilement compte de ce que l’on consomme, le tout étant fraîchement préparé sur place, évidé et découpé devant nos yeux. Je suis écœurée, l’odeur de viande fraîche me fait des haut le cœur. Je ne regrette pas ces expériences culinaires qui font partie de la découverte culturelle. D’autant plus intéressant que cela me pousse à tenter une nouvelle expérience, je deviens végétarienne. J’y avais déjà pensé pour de nombreuses raisons qu’il est inutile d’évoquer et je suis très satisfaite d’avoir franchis le pas. Il faut dire qu’en Chine c’est assez compliqué, la viande étant un ingrédient majeur, carrément plus consommé que le riz. Il est primordial de bien insister sur le fait de ne pas manger de viande, peu importe ce que l’on commande, car il y en a partout même lorsque l’on ne s’en doute pas. L’omniprésence de chair animale ne fait qu’augmenter ma motivation à ne pas en consommer. Je préfère sincèrement les légumes, les œufs et le tofu. La seule chose qui me manque légèrement c’est un bon morceau de fromage ! Tout se passe bien, même lorsque les amis un peu déçus essayent de me convaincre lorsqu’on partage un hot pot. Cette expérience me satisfait et je compte la poursuivre, je me sens apaisée. Cela peut être temporaire, tout comme cela peut s’ancrer de manière définitive dans mes habitudes. Encore une fois je ne ferme aucune porte.


La fin d’une étape se rapproche, beaucoup trop rapide à mon goût. Fraîchement sortie du bureau de contrôle des entrées et sorties du territoire Chinois pour demander une extension de visa, on m’a accordé 30 jours seulement. J’ai même versé une petite larme en apprenant cela, moi qui envisageais reprendre 6 mois directement. Force est d’accepter ce destin, tout est juste. La vie m’invite à emprunter un autre chemin même si j’ai la sensation que la Chine et moi avons encore des choses à partager. Je reviendrai sans doute.
Avant de m’inquiéter pour la suite, je suis sur le départ pour honorer une invitation spéciale dans le Sichuan. Sans en dire plus, je vous donne rendez-vous au prochain épisode.
Je tiens à vous remercier pour votre présence, même silencieuse, et pour vos agréables commentaires qui m’encouragent à poursuivre l’écriture de ces récits. J’ai un grand plaisir à vous les partager.
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Soyons lumineux !




Coucou Estelle
Bravo et merci pour l’émotion que tu nous transmet dans tes écrits ! je suis tellement fière de toi !
t’embrasse fort fort……
Merci Sylvie !!
Je pense fort fort à toi, gros bisous <3
Quel beau texte encore une fois, je suis émue quand je te lis !
Gros becs de Jimmy et moi 😘
Coucou Lucie,
Merci pour le commentaire !
Je pense fort à toute la famille. Gros bisous à toi et Jimmy <3
Estelle 你好
Votre récit est de plus en plus profond, une belle introspection, on vous suit avec délectation, vos mots nous parlent car ils sont universels.
Quant à vos papiers, il sera en principe possible de prolonger à nouveau de 30j votre permis de séjour. C’est une simple formalité et j’ai ouï dire que ça ne devrait pas poser de problème. Je vous tiens les pouces 🤞
Belle suite d’escapade au Sichuan, j’ai hâte d’en savoir plus!
你好
Merci beaucoup pour le commentaire! Je suis heureuse de savoir que mes mots vous parlent et ça m’encourage à continuer ce partage.
Oh ça serait super ! Je vais me renseigner, je retourne au bureau à Chengdu dans quelques jours pour reprendre mon passeport.
Je vous tiens au courant dans le prochain article 😉
Mes amitiés du Sichuan
bravo pour tes mots et ton optimisme! 30 jours de prolongation c’est déjà ça, mais je comprends ta frustration!
gros gros becs
Coucou Val, oui c’est déjà ça.. On verra la suite !
Merci pour le commentaire, pleins de bisous !!